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«Entre l’Occident et la Russie, dépassons la paix froide!»

Les fondateurs de Sneige Alexandra Kamenskaya et Adrian Pabst publient dans l'Opinion une tribune appelant au rapprochement entre l'Europe et la Russie sur la base des intérêts communs profonds des peuples de la Grande Europe.



Tribune libre

«Entre l’Occident et la Russie, dépassons la paix froide!»

Alexandra Kamenskaya et Adrian Pabst 01 Juillet 2019

Les faits - Née à Moscou, Alexandra Kamenskaya est fortement impliquée dans les problématiques franco-russes et internationales depuis plus de quinze ans. Elle a notamment été directrice de l’Agence d’information RIA Novosti à Paris. D’origine allemande, ancien élève de l’Université de Cambridge et de Sciences Po Paris, Adrian Pabst est philosophe et politologue. Il est professeur à l’Université du Kent, en Angleterre.

 

A Paris, Bruxelles et Moscou, il est de plus en plus question des divisions entre l’Est et l’Ouest, comme si l’histoire était destinée à se répéter. Notre conviction est que cet affrontement, et notamment avec la Russie, n’est pas inévitable. Pour ne pas s’enliser davantage dans une dynamique dangereuse de la paix froide, le rapprochement est urgent et il doit se construire sur des bases solides : les intérêts communs des peuples voués à vivre ensemble de Lisbonne à Vladivostok dans une civilisation partagée.


Il y a trente ans, la chute du mur de Berlin marquait l’espoir d’une réconciliation, mais aujourd’hui c’est le froid qui s’est à nouveau installé entre nous. Si dans les années 1990, aux yeux de l’Occident, la Russie était un partenaire mineur auquel il fallait apprendre à vivre selon les normes occidentales, aujourd’hui c’est un autre extrême : la « menace russe » serait partout, qui mettrait en danger les valeurs occidentales et chercherait à détruire les démocraties libérales. Quant à l’Occident, vu de Moscou, il voudrait soumettre le peuple russe à une punition collective pour empêcher le pays de peser sur la scène internationale. La supériorité militaire ou morale supposée de l’un ne fait qu’aggraver l’insécurité identitaire de l’autre.


De manière plus générale, on assiste à de nombreux autres conflits politiques qui reflètent une grave dégradation dans les relations internationales. On le voit au sein de l’Union européenne, avec le Brexit, les désaccords entre l’Europe de l’ouest et celle de l’est, mais aussi les récentes tensions entre la France et l’Italie ou les Pays-Bas. Ou encore entre la Russie et les pays voisins tels que la Pologne et l’Ukraine. C’est également le cas dans le rapport avec les deux autres grands voisins de l’UE, le Maghreb et la Turquie.


Tribalisme. Derrière les polémiques, il y a une incompréhension des réalités des autres nations : leurs intérêts légitimes, les différences de valeurs et les aspirations de la société. A l’origine de cette incompréhension est le refus du réel qui caractérise les idéologies dominantes – la technocratie ultralibérale et le populisme nationaliste. Les technocrates réduisent le monde au pur calcul, alors que les populistes voient partout des complots. Tous deux érigent leur position en vérité ultime et considèrent que le seul principe universel est la volonté de dominer les autres. La géopolitique ne serait qu’un jeu à somme nulle où le plus fort s’impose.


A l’heure des «fake news» et du tribalisme sur les réseaux sociaux, la primauté de l’immédiat vient s’ajouter au voile idéologique pour déformer encore plus nos perceptions de la réalité et obscurcir les intérêts communs profonds qui nous lient les uns aux autres. Ces intérêts exigeraient pourtant des approches réalistes tournées vers le long terme et le respect des partenaires et de leurs choix. Dans le climat de méfiance mutuelle, le choc des égoïsmes conduit à l’agonie de la politique comme art du compromis et de la diplomatie comme gestion paisible des contentieux. Avec l’hyper libéralisme et le populisme nationaliste qui s’alimentent, la bataille des idéologies ne fait que perpétuer la nouvelle paix froide.


Pour faire face aux enjeux internationaux, il faut redécouvrir l’idée d’une communauté de destin des pays de la grande Europe. La tragédie de Notre-Dame nous l’a bien montré, il y a une civilisation européenne qui nous unit : en Russie tout comme en Europe, les médias ont été inondés de messages de tristesse et de solidarité à voir ce monument de notre patrimoine culturel commun ravagé par les flammes. Par ailleurs, malgré les tensions entre les élites, les peuples se rendent compte que leur bien-être dépend de celui des autres. Ils cherchent la reconnaissance mutuelle plus que la domination sur autrui. Or la paix froide imposée par les politiques de part et d’autre renforce les divisions artificielles entre les nations et empêche le rapprochement des peuples en mal de liens.


Logique de l’affrontement. Il est temps de renoncer à la logique de l’affrontement en se souvenant de la culture, de l’humanité et des intérêts que nous partageons au-delà des nationalités et idéologies. C’est le sens de notre appel aux décideurs, intellectuels et leaders d’opinion de toutes les sensibilités : pour dénouer les conflits, et d’abord entre l’Est et l’Ouest, appuyons-nous sur ces fondamentaux et imaginons de nouvelles stratégies pour faciliter le dialogue sur les sujets difficiles. Face aux idéologies, aux politiques de courte vue et à la paresse intellectuelle, appuyons-nous sur la force de la communication entre personnes pour faire fondre les idées reçues, tisser des liens humains et ainsi favoriser la confiance et la coopération.


S’il serait naïf de croire que les Etats abandonnent les rapports de force, qui contribuent à rendre notre monde froid, une vision plus centrée sur l’humain doit au moins recadrer l’exercice du pouvoir. Sur la base des intérêts communs et de la culture commune, il est possible de s’engager dans la voie d’un vivre ensemble moins idéologique en créant une nouvelle dynamique de débats. Dépassons la paix froide !


Alexandra Kamenskaya est communicante et Adrian Pabst philosophe. Ils sont fondateurs de Sneige, Association pour le rapprochement des peuples en froid.


Publication originale: https://www.lopinion.fr/edition/international/entre-l-occident-russie-depassons-paix-froide-187914



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